Les flux d’investissement internationaux et la capitalisation des marchés sont deux indicateurs essentiels pour comprendre l’ouverture et la solidité financière d’un pays dans l’économie globale. Les premiers représentent les mouvements transfrontaliers de capitaux investis dans des actifs productifs, tels que des entreprises, des projets immobiliers ou des infrastructures. Ils traduisent la confiance des investisseurs étrangers et leur volonté de prendre part à la croissance d’un territoire. Quant à la capitalisation boursière, elle mesure la valeur agrégée de toutes les entreprises cotées sur les marchés financiers d’un pays. Plus elle est élevée, plus elle témoigne de la vigueur économique, de la liquidité du marché et de l’attractivité du tissu entrepreneurial.
Dans ce contexte, Dubaï et Abu Dhabi se sont imposés comme deux pôles majeurs d’attraction des capitaux dans la région du Golfe. En quelques décennies, les Émirats arabes unis (EAU) ont su opérer une transformation impressionnante, passant d’une économie presque exclusivement dépendante du pétrole à un modèle ouvert, diversifié et tourné vers l’innovation. Ce changement repose sur une stratégie claire : attirer les investissements étrangers, renforcer leurs marchés financiers, et positionner le pays comme une plaque tournante entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe.
Historiquement, l’économie des Émirats arabes unis reposait essentiellement sur l’exploitation et l’exportation de ses ressources pétrolières. Ces revenus ont permis au pays d’accumuler des fonds souverains colossaux et de financer des infrastructures modernes. En 2024, près de 85 % des fonds souverains émiratis proviennent encore des recettes pétrolières, ce qui souligne le poids de cette ressource dans la stabilité économique du pays. Toutefois, cette dépendance constitue un risque majeur. Une chute prolongée des prix du baril, comme celle observée en 2015 ou encore durant la pandémie de 2020, pourrait freiner le rythme des investissements et compromettre certains projets phares.
Conscients de cette vulnérabilité, les dirigeants des Émirats ont accéléré la mise en œuvre de politiques de diversification. Celles-ci visent à limiter l’exposition aux hydrocarbures tout en stimulant l’attractivité du pays dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme la finance, la technologie, le tourisme ou encore les énergies renouvelables.
L’un des piliers de cette stratégie réside dans la création d’un environnement économique favorable aux investissements internationaux. La fiscalité y est particulièrement attractive : dans de nombreuses zones franches, l’imposition des entreprises est nulle ou très faible. Depuis l’instauration d’un impôt sur les sociétés à 9 % en 2023, les EAU restent parmi les pays les plus compétitifs sur ce plan. De plus, la réglementation est souple, facilitant l’implantation rapide d’entreprises et la détention à 100 % du capital par des étrangers dans plusieurs secteurs depuis la suppression de la règle du 51-49 % en 2020.
Les infrastructures de classe mondiale – aéroports, ports, réseaux routiers, gratte-ciel ultramodernes – ajoutent à l’attrait du territoire, tout comme une main-d’œuvre étrangère nombreuse et relativement bon marché. Ce cocktail de facteurs a permis aux Émirats de se hisser au rang de deuxième pays arabe récepteur d’IDE en 2023, avec plus de 30,5 milliards USD attirés, notamment dans les domaines de la technologie, de l’immobilier et des services.
À titre comparatif, le Canada, bien que solide économiquement, affiche une fiscalité plus élevée, une régulation plus stricte et des coûts salariaux plus importants. De plus, les fonds publics canadiens sont généralement orientés vers les retraites ou la sécurité sociale, alors que ceux des Émirats sont investis de manière proactive dans des projets nationaux et internationaux. Cela illustre la différence de posture économique : là où le Canada adopte une approche prudente, les Émirats misent sur une croissance audacieuse et structurée.
Le dynamisme des Émirats arabes unis ne se limite pas aux flux d’investissement directs. Il s’exprime également dans la croissance spectaculaire de leurs marchés financiers. En 2000, la capitalisation boursière combinée d’Abu Dhabi et de Dubaï s’élevait à 60,8 milliards USD. En 2010, elle atteignait 190 milliards, pour dépasser les 1 050 milliards USD en 2024. Une croissance de plus de 450 % en quatorze ans, illustrant l’attractivité croissante des entreprises émiraties et la confiance des investisseurs.
Deux institutions clés ont structuré cette évolution : le Dubai Financial Market et l’Abu Dhabi Securities Exchange. L’entrée en bourse d’entreprises emblématiques comme DEWA (Dubai Electricity and Water Authority) en 2022 ou ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company) ont renforcé la crédibilité des places financières locales. En 2024, on recensait 54 introductions en bourse pour un montant total levé de 12,6 milliards USD. L’année suivante, huit autres IPO sont attendues, portant les perspectives à près de 10 milliards USD supplémentaires.
Les fonds souverains émiratis jouent un rôle déterminant dans cette dynamique boursière. ADIA, Mubadala ou ADQ investissent massivement dans les entreprises locales et internationales, contribuant à la liquidité du marché et à sa stabilité. Abu Dhabi, avec plus de 1 700 milliards USD d’actifs sous gestion, est la première puissance souveraine mondiale. Ces fonds interviennent aussi dans des domaines stratégiques comme l’intelligence artificielle, les infrastructures vertes ou les technologies médicales, renforçant l’ambition des Émirats d’être un hub financier et technologique de premier plan.
La croissance économique émiratie repose sur la capacité du pays à mobiliser des capitaux pour financer de vastes projets d’infrastructure et de développement. Pour cela, les Émirats ont recours à une diversité de mécanismes de financement innovants. En 2023, le pays a attiré 30,5 milliards USD d’investissements étrangers, principalement dans l’immobilier, les technologies vertes et les centres de données.
Parmi les outils privilégiés figure la finance islamique, avec l’émission de sukuk, des obligations conformes à la charia, qui permettent de lever des fonds sans intérêt. En 2024, plus de 90 milliards USD ont été mobilisés via ces instruments, en hausse de 10 % par rapport à l’année précédente. Les partenariats public-privé représentent également un levier puissant, finançant 40 % des infrastructures nationales, à l’image du métro de Dubaï ou de zones industrielles intelligentes.
La bourse elle-même est un outil de financement direct : des entreprises comme Emaar ou Dubai World ont levé plusieurs milliards via des IPO. Le projet emblématique de Masdar City, doté de 22 milliards USD, témoigne de l’engagement du pays vers un développement durable et technologique.
Malgré ces succès, plusieurs défis menacent la trajectoire actuelle. D’abord, la dépendance persistante aux recettes pétrolières rend l’économie vulnérable aux fluctuations du marché mondial de l’énergie. Une baisse prolongée du baril sous les 50 USD pourrait réduire significativement les investissements, notamment ceux des fonds souverains. Ensuite, la concurrence régionale se renforce : l’Arabie saoudite, avec son projet Neom évalué à 500 milliards USD, entend devenir un centre économique et technologique de premier plan, surpassant certains projets émiratis.
La conjoncture monétaire internationale pose également problème. La hausse des taux d’intérêt américains en 2022–2023 a contraint les Émirats à ajuster leur politique, provoquant une baisse de 15 % des investissements boursiers et une hausse de 2,5 % du coût moyen des projets. À cela s’ajoutent les incertitudes réglementaires dans les secteurs émergents comme la crypto-finance. En 2022, plus de 60 % des pertes liées aux cryptomonnaies dans la région MENA étaient dues à un manque de supervision. Même si les Émirats sont perçus comme plus flexibles que l’Union européenne, ils doivent renforcer leurs mécanismes de contrôle sans nuire à l’innovation.
Malgré ces défis, les perspectives restent particulièrement favorables pour les Émirats arabes unis. Dubaï et Abu Dhabi poursuivent leur montée en puissance comme centres financiers régionaux et mondiaux. Le pays est devenu une destination privilégiée pour les fintechs, avec plus de 300 nouvelles entreprises installées à Dubaï en 2024, attirant 4 milliards USD d’investissements. Le secteur immobilier est en plein essor, et l’on prévoit plus de 100 milliards USD d’investissements supplémentaires dans les énergies vertes et les infrastructures d’ici 2030.
Les Émirats renforcent également leur rôle géostratégique. Plus de 60 milliards USD ont été investis en Afrique, et les flux vers l’Asie et l’Afrique du Nord devraient croître de 30 %. Des accords commerciaux bilatéraux avec la Chine, l’Inde, l’Égypte et le Kenya viennent appuyer cette expansion vers le Sud global.
Enfin, la transition énergétique constitue le socle des stratégies futures. Le développement de l’hydrogène vert, de la finance verte et des technologies climatiques, soutenu par les fonds souverains, témoigne d’une volonté de leadership durable. Les émissions de sukuk verts, la numérisation des marchés et l’adoption de la blockchain dans les services financiers laissent entrevoir un avenir où innovation rime avec stabilité.